La fausse mode des retro-toys

Dr Maboul

Ou comment 20 Minutes publie un article sur un non sujet. Aujourd’hui dans 20 Minutes (quotidien le plus lu de France, rappelons-le, avec 4 millions de lecteurs), une demie page sur les parents qui pour Noël vont offrir en masse des jouets de leur enfance. Ce serait une tendance de cette année, un fait marquant distinguant le Noël 2014 des autres Noël.

Voici tous les jouets cités en exemple dans l’article :

  • Lego : oui, sauf que les Lego n’ont jamais vraiment disparu des rayons de jouets, et ne sont pas plus présents en 2014 qu’en 2013, 2012, 2011… Rien de rétro, donc. Un jouet rétro, c’est un jouet qui a disparu de la circulation pendant 20 ou 30 ans, et qui revient d’entre les morts alors que 2 ou 3 générations d’enfants ne les ont pas connus.
  • Docteur Maboul, Cluedo, Qui est-ce, Puissance 4 : je ne crois pas avoir vu aucun de ces 4 jeux absents des rayons des Noël depuis 10 ou 15 ans. Docteur Maboul et Cluedo font même régulièrement l’objet d’éditions spéciales en lien avec tel film ou série (Shrek, les Simpsons…). Il y a aussi eu un Qui est-ce Marvel il y a 5 à 10 ans. A nouveau, mauvais exemples donc. Ces jeux n’appartiennent pas plus au passé d’il y a 30 ans qu’à celui d’il y a 10 ans.
  • Mille Bornes : E. (9 ans) a un Mille Bornes Cars depuis 4 ou 5 ans. En quoi le Mille Bornes en 2014 est-il en train de faire un comeback ? Il a toujours été dans le paysage.
  • Monopoly : là je crois qu’on atteint des sommets. Il ne se passe pas une année sans que le Monopoly ne sorte dans 2 ou 3 éditions différentes. Ce jeu est partout, depuis toujours. Il a été décliné à toutes les sauces, du Seigneur des Anneaux à Littlest Pet Shop. Et surtout, ce jeu n’a absolument rien de générationnel, du moins pas de la génération de parents actuels : il a été créé en 1935. Il avait déjà 50 ans quand nous étions enfants, nos parents y jouaient, nos grands-parents ont aussi pu y jouer.
  • Simon : seul exemple presque pas à côté de la plaque. Un nouveau Simon, proche de l’ancien, est en bonne place dans les catalogues cette année. Ceci dit, un remix du jeu, basé sur un concept modernisé (4 blocs indépendants) était déjà sorti il y a 3-4 ans…
  • Les peluches Kiki : Kiki, c’est clairement les années 70-80, et il est vrai que le petit singe avait un peu disparu dans les années 90, mais il a fait son retour dans la plupart des rayons peluches de France depuis au moins 15 ans. Seule vraie nouveauté de cette année : elles perdent leur nom français – Kiki – pour reprendre le nom original japonais – Monchhichi.
  • Barbapapa : comme Kiki, c’est un vrai vieux truc, mais comme Kiki, le retour ne date pas de cette année, ni de la précédente. Ca fait plusieurs années qu’on trouve quelques produits Barbapapa dans les magasins pour enfants. En 2011 Barbapapa était même  présent dans les Kinder Surprise…
  • Les Tortues Ninja et Spider-Man : si les jouets se vendent un peu plus cette année qu’en 2013, est-ce que ça ne pourrait pas avoir un rapport, même infime, avec le fait que les deux ont eu droit à long-métrage au cinéma cette année, plutôt que par un soi-disant effet de mode du jouet rétro ? Je dis ça, je dis rien…

J’ai eu un train électrique pour Noël, une fois, quand j’étais petit. Or mon père jouait au train électrique quand il était petit. Avait-il 25 ans d’avance sur la tendance 2014 identifiée par 20 Minutes, la mode du retro-toy offert par les parents à leurs enfants ? Mon avis est surtout que cette tendance n’existe pas, ce n’est pas une mode, c’est quelque chose qui a toujours existé et qui existera toujours : les parents aiment offrir à leurs enfants des jouets qui leur rappellent leur propre enfance. C’est évident. Rien de nouveau là dedans. On retrouve exactement le même phénomène avec les jeux vidéo, les films, la musique. Aucun des exemples cités dans cet article de qualité professionnelle publié par 20 Minutes n’apporte le moindre indice concernant un phénomène qui serait plus marqué cette année que l’année dernière ou qu’il y a 5 ans, ou même 10.

Cet article de 20 Minutes est une tentative de prophétie auto-réalisatrice : il n’y a pas de phénomène de mode, mais en écrivant qu’il y en a un et en étant lu par 4 millions de personnes, on peut le créer ou l’accentuer, et finalement obtenir les preuves nécessaires à la démonstration.

Bon en même temps, ça doit pas être facile d’être journaliste et de devoir trouver une idée originale pour les sujets qui reviennent chaque année…

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