Diablo 3 : un PEGI 16 pour toute la famille

Réponse courte pour personnes pressées : non.

Exemples d’individus de 15 ans qui ne devraient donc pas jouer à Diablo 3 selon PEGI

Réponse longue pour les autres, ci-dessous.

Avant toute chose, rappelons en des termes très clairs ce que signifie une classification PEGI 16. PEGI 16 ça veut dire que des personnes de 15 ans ne devraient pas jouer. A 15 ans normalement on est en seconde et on a quasiment de la moustache (pour les garçons, s’entend).

Je précise aussi que je m’intéresse dans cet article à la version console de Diablo 3, sortie il y a quelques semaines, et non à cette vieillerie de Diablo 3 PC sorti il y a plus d’un an. Une différence notable étant le coop sur une même machine, mais j’y reviendrai.

Le classement PEGI 16 de Diablo 3 est justifié par PEGI par la violence du jeu et par la possibilité d’interagir en ligne avec d’autres joueurs (plus accessoirement à mon avis car il y a d’autres jeux avec un mode en ligne, non classés PEGI 16)  :

PEGI 16 DiabloThe content of this game is suitable for persons aged 16 years and over only.
It contains: Realistic looking violence
This game allows the player to interact with other players ONLINE

Notez au passage le ONLINE en majuscule. Comme un mot qu’on prononce avec un coup de tonnerre tellement il est effrayant.

Revenons à la violence du jeu. Certes, dans Diablo 3 on trucide des monstres à la pelle (j’en suis à environ 4000 monstres tués avec mon moine, et je ne suis qu’au niveau 17 sur 50). Certes, quand les monstres se font trancher à l’épée, parfois on voit un membre ou une tête se séparer du corps. Certes, il y a quelques giclées de sang. Mais résumer l’expérience à « c’est violent donc c’est pas bien pour les enfants jusqu’à 15 ans et 364 jours » c’est se planter lamentablement sur la spécificité du média jeu vidéo.

Car dans Diablo, jeu en 3D isométrique et non en vue subjective, les monstres qu’on tue, on les tue avec un personnage qui représente à peine 1/8 de l’écran en hauteur et qu’on contrôle à la 3ème personne, comme observateur extérieur. Si Diablo 3 était un FPS, l’immersion du joueur dans cette boucherie serait radicalement différente. Les monstres exploseraient en gros plan, et on serait psychologiquement au cœur de l’action, avec une expérience beaucoup plus intense. La façon dont le jeu vidéo agit sur notre cerveau est différente selon la façon dont on interagit avec l’écran, or PEGI se base uniquement sur ce que l’on voit à l’écran ; comme si PEGI classait des films ou des émissions de télé devant lesquels on est passifs, finalement.

Oui, ça se bastonne et y a des bestioles qui meurent. Mais enfin, est-ce vraiment si choquant que ça quand on y joue, compte-tenu de la façon dont c’est présenté et de la façon dont on agit sur le jeu ? Voir aussi la vidéo, en fin d’article.

Cette problématique de la perception du jeu vidéo à travers des classifications non adaptées à la spécificité de ce média a été décortiquée par Olivier Mauco, spécialiste de la place des jeux vidéo dans la société et auteur d’une thèse sur le sujet. Voici un extrait d’article de son blog, expliquant ce que je viens péniblement d’essayer de résumer :

Pour comprendre cela il est nécessaire de s’attarder sur la spécificité du jeu vidéo : le jeu vidéo est un type de produit informatique dont les interactions sont orientées objet (les assets) et intermédiées par des objets (les avatars ou autres). Bref, je manipule un objet (un personnage, une main) et j’interagis avec d’autres objets (un terrain, un ennemi).

La vue à la première personne par exemple introduit un rapport cognitif aux éléments différents qu’une troisième personne. Ceci est dû à la dimension diégétique / non-diégétique des interfaces de contrôle. Est-ce que l’interface est transparente (un bouton produit telle action, les boutons n’étant pas affichés à l’écran) ou au contraire sur-imprimée à l’écran comme les slots dans les MMO ou jeux de stratégie : cocher une case pour lancer un sort fait que l’interface graphique est une médiation visible, déconnectée de l’action directe du personnage (découplage du curseur de la souris pour sélectionner et du clavier pour se déplacer), et donc introduit un rapport à l’action différent. [source]

Pour moi, la violence dans Diablo 3 telle qu’on la perçoit en jouant n’a absolument rien de traumatisant, car on joue en 3D isométrique, à la 3ème personne, avec en plus de nombreux effets visuels autres que le sang (explosions magiques et effets de particules diverses). Ce jeu est parfaitement jouable pour de jeunes moustachus de 15 ans qui viennent d’entrer en seconde, mais il est également tout à fait acceptable pour des enfants de 8-10 ans – accompagnés d’un joueur plus âgé car l’ambiance reste sombre, on est dans la dark fantasy gothique plutôt que dans une ambiance positive d’heroic fantasy classique. Ca tombe bien, Diablo 3 se joue en coop jusqu’à 4 joueurs. Ce qui au final en fait un excellent jeu d’action-RPG familial. Probablement le meilleur actuellement disponible sur consoles.

Du fun à 4 dans le canapé

Un peu comme le jeu de plateau Zombicide (14+ en théorie), Diablo 3 est un jeu dont l’emballage peut faire peur, mais dont le contenu n’est absolument pas inadapté à une approche familiale. Alors ce serait vraiment dommage d’en priver nos enfants jusqu’à l’avènement de la moustache (ou autre évolution morphologique pour les filles), non ?

En bonus, quelques raisons pour lesquels ce jeu – en plus de ne pas être traumatisant au point d’être classé PEGI 16 – est un bon jeu pour jouer avec des enfants :

  • la difficulté modérée et à croissance très progressive
  • la faible pénalité en cas de mort du personnage (en coop on reprend à l’endroit où le personnage est mort si au moins un autre joueur est vivant)
  • le coop à 4 joueurs, j’en ai déjà parlé mais c’est très important pour que les enfants puissent jouer avec des adultes
  • le principe de progression des personnages, classique des RPG, mais bon message éducatif.
  • le loot : tout le monde adore ramasser des objets et trouver la meilleure armure ou la meilleure baguette magique.
  • Les héros de Diablo 3 (tous les 5 disponibles en version masculine et féminine)

    égalité des sexes : dans Diablo 3 on peut incarner un homme ou une femme pour n’importe laquelle des 5 classes, avec des caractéristiques identiques. Le barbare homme n’est pas plus fort que la barbare femme. Diablo 3, encore plus fort que le catalogue de Noël de Super U.

  • c’est un jeu qui montre qu’après Skylanders ou les jeux Lego, il y a aussi des univers plus adultes, qui peuvent être (au moins) aussi riches visuellement, dans d’autres style. C’est donc un élargissement de la culture vidéo-ludique et esthétique, et comme pour les films, il n’est pas forcément bon de trop attendre pour ouvrir les esprits.
  • aucune vulgarité dans les dialogues.
  • une histoire classique de héros luttant contre les forces du mal : pas de politiquement incorrect ou de subversif à la GTA, dans Diablo 3 les joueurs sont du côté du bien.
  • et surtout : on peut casser les décors – meubles, vases, tas de crânes, bibliothèques… Comme dans les jeux Lego !

5 réponses

  1. Nidhogg dit :

    Après faut juste adhérer à ce style de jeu…
    Moi je fais jouer mon enfant de 8 à Call Of Duty et bien… non je déconne, je fais pas ça.
    En tout, le PEGI est une norme et comme toutes les normes, il y a des points positifs et des points négatifs… c’est le problème et à partir du moment où il y a violence… il y a PEGI16
    Grid (jeu de course) avait bien écopé d’un PEGI7… pour dire…

    • Stéfan dit :

      Mais justement c’est ça le problème ! C’est trop mécanique : violence = PEGI 16, indépendamment de la façon dont cette violence est intégrée dans le gameplay et la présentation. Des zombies tués en 3D isométrique par des sprites vus de loin ça n’a pas du tout le même impact cognitif que des zombies tués en plein écran en vue à la 1ère personne, à quantité de giclées de sang et de membres arrachés équivalente !

      Quand un film est classé 18+, on sait que film n’est pas du tout adapté à des enfants. Quand un jeu est classé PEGI16 ou PEGI18, on ne sait pas. Parfois c’est effectivement trop hard, parfois non.

      Cette non fiabilité du système nuit à sa crédibilité. Après il ne faut pas s’étonner de voir des parents absolument pas intéressés par le sujet acheter des Call of Duty à leurs enfants de 9 ans.

      PEGI devrait être simplifié : un classement 18+ avec une vraie interdiction de vente pour les jeux qui le méritent vraiment, et c’est suffisant. Plus simple = plus lisible pour les acheteurs et plus facile à classifier.

      En l’état le système est totalement inopérant.

  2. loopkin dit :

    L’autre jour j’ai joué à GTA avec mes enfants, et bien… non je déconne pas en plus c’est vrai… mais on a fait super attention de ne pas faire de bêtises (genre écraser des gens), c’est super dur d’ailleurs !!!
    Du coup c’était pas du tout violent… mais quand je dis ça autour de moi (mes enfants ont 4 et 6 ans) on me regarde comme un fou, un père indigne 😉

    • Stéfan dit :

      Très intéressant cet exemple de GTA.
      Il m’arrive de laisser E. me regarder jouer à Assassin’s Creed. Certes le jeu est PEGI 16 ou 18 (je ne sais plus) et il y a des passages violents et sanglants (que je ne montre pas – pour l’instant !), mais aussi la possibilité de jouer sans afficher de contenu sensible : courir sur les toits des immeubles, escalader des clochers, faire de la bataille navale (dans AC3), etc.

      L’interactivité du média jeu vidéo fait que la violence qu’on voit à l’écran dépend parfois de la façon dont on joue.

      D’ailleurs ça marche dans les 2 sens : un PEGI 16, même s’il a vraiment du contenu violent, peut avoir des séquences tout à fait correctes pour des enfants. Mais un PEGI 3 qui semble correcte peut s’avérer violent suivant la façon dont on joue. Par exemple un jeu de courses comme Forza Motorsport est PEGI3 (avec un gros PEGI3 au tout début de la pub TV). Dans ce jeu on peut très bien s’amuser à provoquer des accidents de la route (ce qui tue chaque jour des dizaines de personnes en France). Donc pourquoi certains types de violence sont jugés nocifs et pas d’autres ? Enfin, c’est les limites du PEGI quoi.

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