Scandale ! Les adolescents jouent à des jeux PEGI 18 ! (ou quand lemonde.fr se fout de nous)

le monde et le scandale des jeux pegi 18 joués par des adosQuand on est journaliste pour lemonde.fr, on n’a visiblement pas le temps de lire les études dont on parle. Donc on fait des résumés à l’emporte-pièce, en choisissant l’angle le plus sensationnel possible, et si possible une image bien caricaturale.

Ainsi, on peut lire aujourd’hui sur lemonde.fr que « Plus de 8 collégiens sur 10 ont joué à un jeu vidéo déconseillé aux mineurs ». Et quelle meilleure illustration qu’une capture d’écran de GTA V représentant une scène de torture par électrocution sur le point de commencer ? L’article signale (que dis-je, alerte les parents inconscients que nous sommes) que 8 collégiens garçons sur 10 ont déjà joué à un jeu PEGI 18, et que cette proportion monte à 9 sur 10 au lycée. Mon dieu c’est horrible. Des enfants innocents qui sont en train de préparer le bac ont peut-être déjà joué à Mass Effect 3, à Dragon Age ou à Assassin’s Creed 2. Que vont-ils devenir ?

C’est affreux. De jeunes enfants de 15 ans ont peut-être déjà visité le Venise de la Renaissance en jouant à Assassin’s Creed 2, un jeu PEGI 18.

Le fait qu’un journal mette en avant ce constat sur le non respect du PEGI, tiré d’une étude scientifique, pourrait à la limite être acceptable. Si c’était effectivement l’objet de l’étude. Celle-ci a été réalisée par l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT pour les gens pressés). Quel rapport avec le respect de la classification PEGI (dont tout le monde se fout parce qu’elle ne marche pas, cf. le dernier JV, ou moins loin, mon article complet sur le sujet), me direz-vous ? L’OFDT (je suis pressé) s’intéresserait-il à l’exposition des mineurs à la drogue présente à l’écran dans certains jeux PEGI 18 ? Que nenni.

Cette étude porte en réalité essentiellement sur la problématique de l’addiction de certains joueurs. Un phénomène qui existe, et sur lequel l’étude entendait apporter quelques éléments d’éclairage pour mieux le mesurer, le comprendre et en identifier les causes chez les jeunes joueurs.

Les résultats de cette étude ont été communiqués sont la forme d’un résumé de deux pages pour la presse ; la partie sur le non respect du PEGI 18 par les collégiens représente 5 lignes sur les deux pages, mais lemonde.fr n’a retenu que cette information, donc la plus utile aux yeux du journaliste. En revanche la conclusion est très certainement sans aucun intérêt pour éclairer la société sur la pratique du jeu vidéo et les situations problématiques :

« D’une façon générale, les profils de joueurs problématiques se retrouvent parmi les adolescents dont l’encadrement parental est faible, par exemple ceux qui déclarent que leurs parents ignorent où ils sont le soir. Les adolescents indiquant qu’ils ne peuvent pas parler facilement à leurs parents, ni trouver du réconfort auprès d’eux sont également plus sujets aux comportements problématiques de jeu. »

Oui, c’est vrai que ce serait complètement con de relayer ce genre de message. Ca pourrait donner l’impression que les jeux vidéo ne sont peut-être pas la source du problème des joueurs dépendants, mais un symptôme (lorsque leur usage devient excessif) d’une vie quotidienne pas top.

types de jeux et sexe des joueursAu delà du communique de presse de deux pages, une note plus complète de six pages présente les principaux chiffres et observations de l’étude. Certains sont intéressants, par exemple l’intérêt pour les différents styles de jeux à l’adolescence (graphique ci-contre), le fait que 66% des utilisateurs de DS de 8 à 14 ans sont en fait des utilisatrices, les différences de pratique entre les garçons et les filles.. D’autres montrent quelques biais dans la méthodologie (lorsqu’on interroge les collégiens sur leurs usages des écrans dans la semaine écoulée, ils ont 7 choix, mais aucun usage « sérieux » tel que « j’ai utilisé internet pour des recherches documentaires », « j’ai appris à programmer », « j’ai créé un site web pour mon groupe de jazz »…). L’information sur le non respect du PEGI est bien présente, mais elle représente 2 phrases sur les 6 pages, et n’intervient pas vraiment dans les conclusions sur les comportements addictifs.

Sur le sujet initial (et central) de l’étude, à savoir la question de l’addiction, il y a également des résultats instructifs. Sur l’échantillon interrogé (2000 collégiens/lycéens de la région parisienne), 3 sur 10 présentent des signes d’addiction, mais du type « je pense tout le temps aux jeux » plutôt que « je me sens mal quand je ne peux pas jouer ». Les garçons sont plus exposés au risque (on s’en doutait, mais ici c’est quantifié) et les jeux les plus addictifs sont les MMORPG (on le savait aussi).

Dans les conclusions plus surprenantes (donc intéressantes, sauf pour lemonde.fr), l’étude démontre en analysant différents facteurs une absence de lien significatif avec le fait d’avoir un ordinateur dans sa chambre et le fait de développer une addiction aux jeux vidéo. Elle montre également, et c’est pour moi le point le plus important, que le risque augmente fortement lorsque le joueur est isolé ; d’où l’importance de jouer aux jeux vidéo avec ses enfants, entre frères et soeurs, avec ses amis. Comme le rappelle Marcus, le jeu vidéo c’est un jeu de société !

La note de synthèse de l’étude se termine par un rappel en forme de mise au point, très appréciable sur ce type de publication : « Ces observations montrent cependant que la pratique des jeux vidéo n’a pas nécessairement un effet délétère : si 14 % des joueurs hebdomadaires peuvent être considérés comme problématiques, à l’inverse, ceux qui en ont un usage strictement ludique sont les plus nombreux. Il faut donc éviter de « pathologiser » la pratique du jeu vidéo, qui ne constitue pas, en soi, un comportement problématique à l’adolescence. L’activité de jeu comporte des bienfaits incontestés et la pratique du jeu vidéo, en contribuant à alimenter, voire stimuler, les échanges avec les pairs, constitue une forme de sociabilité […]. »

Bon, ça non plus, ça ne présente aucun intérêt pour lemonde.fr. C’est plus utile de laisser entendre que pratiquement tous les collégiens jouent à GTA V (surtout la scène de torture).

4 réponses

  1. alexnidhogg dit :

    Same old same old… tsss

  2. alex dit :

    C’est malin, tu viens de faire le travail du journaliste à sa place.

  3. Erwan dit :

    Merci pour cette news Stéfan, l’étude est super intéressante.
    Le site jeuxvideo.com a fait une news la-dessus ce matin en titrant « 1 adolescent sur 7 aurait un problème avec les jeux vidéo »… Du coup les gens ne comprennent pas que la bonne nouvelle c’est que tout va bien pour 6/7 et ça se déchaîne dans les commentaires. Evidemment, personne n’a lu l’étude originale, ne serait-ce que la conclusion qui comme tu l’indiques est appréciable dans ce genre de publication.
    J’hésite toujours entre l’incompétence des rédacteurs et le racolage dû à la course à l’audience/au clique.

  4. yepun dit :

    Bravo Geek Dad ! Bravo pour la recherche suite à l’article. Les journalistes écrivent trop vite des articles à sensation, même dans Le Monde.
    Ce qu’il faut combattre, c’est cet abandon des adolescents, et l’incapacité des parents à s’occuper d’eux. C. a 12 ans, pas encore l’adolescence, mais j’ai une idée de ce qu’elle fait devant un écran (télé, ordi, console, smartphone …), sans la fliquer !
    Il faut accompagner les parents et non les enfants. A quand les parents à l’école (j’ai vu un article là dessus il n’y a pas si longtemps).

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